Une récente décision du Tribunal de Vicence (Tribunal de Vicence, 27 juin 2022, n° 1101, disponible ici), rendue à l’issue d’une procédure d’opposition à une injonction de payer, semble présenter un grand intérêt, compte tenu de la conclusion sans précédent à laquelle est parvenu le juge étatique.

La procédure est somme toute simple.

Une partie, se prétendant créancière de l’autre, a demandé et obtenu une injonction de payer de la part du Tribunal de Vicence.

Or, le contrat à l’origine de la créance invoquée dans l’action contenait une clause d’arbitrage.

Le débiteur a donc fait opposition et a objecté que le juge étatique n’était pas compétent, puisque les arbitres étaient compétents (ou plutôt que la demande était irrecevable, puisqu’il s’agissait d’un arbitrage informel).

Selon une jurisprudence constante, l’existence d’une clause d’arbitrage n’exclut pas la compétence de la juridiction étatique pour prononcer une injonction. Toutefois, si le défendeur s’oppose à l’injonction et prétend que la juridiction étatique n’est pas compétente parce que le litige est soumis à des arbitres (ou que la demande est irrecevable si le litige est soumis à des arbitres sur une base informelle), la juridiction d’opposition doit révoquer l’injonction.

Partant de cette orientation jurisprudentielle, le tribunal de Vicenza fait un pas en avant. En effet, il note que la révocation de l’injonction, en raison de la compétence arbitrale convenue, peut être ordonnée dans la mesure où il existe un différend réel entre les parties, c’est-à-dire un différend sur la demande formulée à titre de réparation pécuniaire. Dans le cas contraire, la révocation de l’injonction aboutirait à la mise en œuvre (par l’intermédiaire du juge étatique) d’une manœuvre dilatoire.

En l’espèce, la créance invoquée ayant été contestée par le débiteur présumé dans des termes extrêmement généraux, le Tribunal a rejeté l’objection : en d’autres termes, il a considéré qu’il n’y avait pas de litige et que, par conséquent, aucun litige ne pouvait (et donc ne devait) être soumis à l’arbitrage.

Il s’agit là, pour autant que l’on sache, d’une approche tout à fait nouvelle dans notre système juridique : face à une objection d’arbitrage formulée à l’encontre d’une injonction, le juge étatique révoque l’injonction, et l’on peut tout au plus débattre de la question de savoir si cette révocation doit inévitablement s’accompagner de la condamnation du prétendu créancier à supporter les frais du litige, ou s’il est au contraire possible (et dans certains cas même opportun) de les compenser, en dépit de la formulation stricte de l’article 92 du Code de procédure civile.

Toutefois, les principes qui ont inspiré la décision du tribunal de Vicence ne sont pas inconnus de la communauté arbitrale, du moins dans d’autres juridictions que la nôtre.

Par exemple, à Singapour, l’Arbitration Act 2001 (qui ne s’applique qu’aux arbitrages nationaux) prévoit, en résumé, que le tribunal étatique ne peut suspendre la procédure, face à une objection d’arbitrage, que s’il n’y a pas de motifs suffisants de croire que l’affaire ne devrait pas être soumise à l’arbitrage. Et les juges de Singapour utilisent le pouvoir discrétionnaire qui leur est attribué par la loi locale, en rejetant la demande de suspension de la procédure pendante devant eux, sur la base de la compétence arbitrale, s’ils considèrent que la partie qui a fait une telle demande n’a pas de défense sur le fond et donc, en substance, que ladite demande est de nature purement dilatoire.

Pour en revenir à notre système juridique, le droit positif ne semble pas permettre au juge étatique, appelé à se prononcer sur une exception d’arbitrage, de la rejeter parce que la partie qui l’a soulevée n’a pas indiqué en même temps quels sont ses moyens de défense au fond. Dans de nombreux cas, ces défenses ne seront formulées qu’en raison de scrupules défensifs extrêmes, ou pour le cas, plus ou moins probable selon le cas concret, dans lequel l’exception d’arbitrage pourrait s’avérer non fondée. En revanche, lorsque ces défenses au fond n’ont pas été formulées, en s’appuyant sur le bien-fondé de l’exception d’arbitrage, cette dernière, si elle est effectivement fondée, doit être accueillie.

Il ne semble pas non plus opportun, de iure condendo, d’introduire dans notre système juridique des principes qui, comme nous l’avons vu, sont certes appliqués ailleurs, mais seulement dans certains cas, et qui, de toute façon, créent des incertitudes désagréables (quand peut-on parler de litige ?).

Bien que mue par une intention louable (empêcher la mise en œuvre de techniques purement dilatoires), la décision du Tribunal de Vicence semble donc erronée, et il faut espérer qu’elle sera contestée et réformée, même au-delà du cas d’espèce, afin d’éviter que d’autres tribunaux ne prêtent l’oreille aux principes qui y sont affirmés.

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