Les praticiens de l’arbitrage commercial, tant national qu’international, sont parfois confrontés à des problèmes découlant de la conduite d’une partie qui, récalcitrante à voir le litige tranché par les arbitres comme convenu, adopte un comportement – qui peut consister en une action affirmative ou en l’omission d’une procédure régulière – dont l’intention apparente est d’empêcher, ou d’entraver et de ralentir, la procédure arbitrale.
Les principales institutions arbitrales en sont également conscientes et ont en fait inclus depuis longtemps dans leurs règlements ou y ont récemment introduit l’avertissement représenté par la disposition expresse selon laquelle les parties doivent se comporter de bonne foi et de manière loyale.
Le sujet n’a toutefois pas fait l’objet d’une attention particulière, du moins en Italie, si ce n’est de la part d’une doctrine aussi isolée qu’autoritaire. C’est pourquoi il semble opportun de l’aborder dans le cadre d’une proposition – préliminaire et partielle, compte tenu également de l’espace limité dans lequel il semble opportun de la contenir à l’heure actuelle – de reconstruction systématique.
La première question à aborder concerne la nature de la convention d’arbitrage, c’est-à-dire l’accord, conclu entre deux ou plusieurs parties, en vertu duquel leurs litiges, actuels ou futurs, sont soumis à la décision d’une partie privée, appelée à exercer un pouvoir juridictionnel en lieu et place des tribunaux étatiques.
Selon certains auteurs, un tel accord serait une transaction non contractuelle avec des effets procéduraux. D’autres, en revanche, lui reconnaissent une nature contractuelle, bien que dans certains cas ils considèrent la question comme purement nominaliste.
L’approche qui semble préférable est celle selon laquelle la convention d’arbitrage est un contrat de droit privé ayant pour objet le choix d’un mode de règlement d’un litige, produisant ainsi des effets procéduraux.
En effet, cette approche est à la fois pleinement compatible avec la tradition juridique nationale et internationale. En outre, elle tient compte de certains indices normatifs importants qui seraient autrement exclus.
La définition en termes contractuels de la convention d’arbitrage conduit ensuite à l’application directe des dispositions contenues dans le titre II du livre IV du code civil – et en particulier, pour ce qui nous intéresse ici, celle de l’article 1375 du code civil, qui, comme nous allons le voir, revêt (ou peut revêtir) une certaine importance.
La qualification de la convention d’arbitrage, en revanche, n’est pas pertinente aux fins de l’application des articles 1218 et suivants du code civil : qu’elle soit de nature contractuelle ou qu’il s’agisse d’une transaction ayant des effets procéduraux, il est incontestable qu’elle fait naître des obligations, et donc une responsabilité pour inexécution.
Si la convention d’arbitrage est le contrat par lequel les parties s’engagent à soumettre leurs litiges à la décision d’arbitres, il est clair qu’elle fait naître une obligation négative : celle de ne pas saisir, pour les litiges couverts par la convention, le juge étatique, ou en tout cas une instance différente de celle prévue par la convention. En même temps, elle fait naître une obligation positive : celle de soumettre ces litiges à l’arbitrage.
La doctrine nationale et étrangère s’accorde sur ce point.
En revanche, l’affirmation selon laquelle il s’agit de la seule obligation découlant de la convention d’arbitrage ne semble pas soutenable.
Au contraire, une série d’autres obligations, de nature positive, peuvent être déduites, c’est-à-dire qu’elles imposent aux parties des obligations de faire précises.
Une première reconnaissance de ces obligations comprend l’obligation de nommer le(s) arbitre(s) en temps utile et l’obligation de payer (aux arbitres ou à l’institution arbitrale, selon le cas) les avances requises.
Ces obligations de faire précises sont accompagnées d’obligations de ne pas faire tout aussi précises, outre l’obligation de ne pas saisir un juge autre que les arbitres, et notamment l’obligation de ne pas adopter de comportement visant à empêcher ou à ralentir la constitution et le fonctionnement du tribunal arbitral et l’obligation de s’abstenir de contester la sentence pour des motifs autres que ceux autorisés par la loi.
Toutes ces obligations sont une déclinaison du principe, énoncé à l’article 1375 du Code civil, selon lequel un contrat doit être exécuté de bonne foi.
Plus précisément.
Les parties ont l’obligation – et non le simple devoir, comme on l’a prétendu – de nommer les arbitres en temps utile, car l’omission de le faire ne peut être considérée comme compatible avec le canon de la bonne foi dans l’exécution du contrat. Une telle omission trahit en effet l’intention de ralentir la constitution du tribunal arbitral, et donc la décision des arbitres sur le fond du litige, décision qui est l’objectif partagé par les parties à la convention d’arbitrage.
Les parties sont alors obligées de payer les avances demandées par les arbitres ou l’institution arbitrale car, encore une fois, le non-paiement n’est pas compatible avec l’accomplissement de bonne foi de l’objectif contractuel d’obtenir une décision sur le fond par le tribunal arbitral (soit parce qu’il peut entraîner la dissolution de la clause conformément à l’art. 816-septies du Code de procédure civile, soit parce qu’il peut entraîner la suspension ou l’extinction de la procédure).
Les parties ont également l’obligation de ne pas adopter de comportements – autres que ceux mentionnés ci-dessus – visant à empêcher ou à ralentir la constitution du tribunal arbitral ou son fonctionnement. Ainsi, elles ne peuvent pas, par exemple, nommer un arbitre qui serait contraint de ne pas accepter cette nomination en raison d’un conflit d’intérêts avéré. Les techniques dites de filibustering entrent également dans cette catégorie, bien qu’une prudence particulière semble s’imposer à leur égard, compte tenu de la frontière loin d’être nette entre l’exercice du droit de défense et son abus.
Enfin, les parties doivent s’abstenir de toute contestation de la sentence arbitrale autre que celles autorisées par la loi. En particulier, cela signifie qu’elles ne doivent pas tenter de « déguiser » sous la forme d’une des causes de nullité de la sentence arbitrale en vertu de l’article 829 du code de procédure civile des critiques portant sur les constatations de fait faites par les arbitres ou sur leurs décisions de droit (sauf si la sentence peut également être attaquée pour violation des règles de droit applicables au fond du litige). En effet, après avoir choisi un mode de résolution des litiges qui ne prévoit pas de double degré de jugement sur le fond, un comportement différent pourrait à nouveau ne pas être considéré comme correspondant au canon de la bonne foi dans l’exécution du contrat.
Face au non-respect de la convention d’arbitrage (sous toutes les formes, que nous venons de voir, qu’il peut prendre), la loi prévoit deux types de remèdes : les remèdes procéduraux et les remèdes matériels.
Les remèdes procéduraux sont ceux qui visent à supprimer les effets les plus graves de l’inexécution.
Ainsi, en cas d’inexécution consistant en un litige devant les juridictions de l’État, le remède procédural est l’exception d’arbitrage, qui paralyse cette action. Ou bien, suite à l’inexécution consistant en l’absence de désignation d’un arbitre, le remède est de s’adresser à l’autorité de nomination prévue à cet effet, que ce soit par convention ou autrement par la loi. Si, en revanche, le manquement consiste à nommer un arbitre en conflit d’intérêts manifeste, le recours consiste à s’y opposer (si l’arbitre contribue à ce manquement en acceptant la nomination) ou, dans les cas les plus graves, lorsque, par exemple, le contenu de sa déclaration d’indépendance et d’impartialité au titre de l’article 813 du code de procédure civile est en jeu, à provoquer sa récusation au titre de l’article 813-bis du code de procédure civile.
Tous ces recours peuvent toutefois s’avérer inadaptés pour atteindre l’objectif consistant à placer la partie fidèle dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée en l’absence d’inexécution. Par exemple, ils ne prennent pas en compte les frais nécessaires à leur mise en œuvre – sauf, le cas échéant, sous la forme de frais de contentieux, qui, comme on le sait, peuvent toutefois être liquidés pour un montant même considérablement inférieur aux frais réellement encourus.
Il existe également des défaillances pour lesquelles aucun remède n’est possible : ainsi, si une partie n’a pas versé les provisions exigées, l’autre partie n’aura d’autre choix que de les verser à sa place, ou de subir la dissolution de la convention d’arbitrage en vertu de l’article 816-septies du Code de procédure civile ou, selon le cas, la suspension ou l’extinction de la procédure.
Dans tous ces cas, le recours substantiel peut venir à la rescousse : les dommages-intérêts. Toutes les pertes (coûts) et tous les manques à gagner résultant de l’inexécution peuvent être indemnisés, à condition qu’ils en soient, conformément à l’article 1223 du code civil, une conséquence immédiate et directe.
Si l’on excepte les nombreuses affaires dans lesquelles seules les voies de recours procédurales ont été activées, la jurisprudence italienne en la matière est plutôt maigre. Parmi les précédents publiés, on peut citer un arrêt du tribunal de Vérone de novembre 2012, un arrêt de la cour d’appel de Milan (disponible ici) et un arrêt de la cour d’appel de Brescia (disponible ici).
Il est intéressant de noter que, dans la première affaire (Tribunal de Vérone), la partie qui avait agi devant le juge étatique en violation de l’obligation contractée en vertu de la convention d’arbitrage a été condamnée à verser à la partie fidèle une somme d’argent (égale à environ la moitié des frais de litige liquidés) en vertu de l’art. 96, al. 3 du Code de procédure civile italien.
La référence réglementaire que nous venons d’indiquer (et donc la prise en compte de ce que l’on appelle la « témérité atténuée ») découle de la demande expresse formulée devant le tribunal par la partie fidèle à la convention d’arbitrage. L’appréciation concrète faite par le juge va toutefois dans le sens d’une témérité totale. En effet, le Tribunal a considéré que « le demandeur a insisté pour soutenir la recevabilité de la demande, alors qu’il avait la possibilité d’adhérer à l’objection de la contrepartie, sur la base d’arguments en partie spécieux et en partie contredits par une orientation jurisprudentielle consolidée, sans assumer la charge d’exposer les raisons pour lesquelles cette dernière devrait être écartée« , concluant dans le sens de « considérer sa défense connotée par la mauvaise foi« .
Le raisonnement utilisé par la Cour d’appel de Milan pour activer, une fois de plus, le recours prévu à l’article 96, paragraphe 3, du Code de procédure civile est extrêmement clair et mérite qu’on s’y attarde.
Il vaut la peine de le citer dans son intégralité : « D’une simple lecture de l’assignation en appel de la sentence, il ressort sans équivoque la conscience absolue des appelants (compte tenu également de la valeur professionnelle incontestable de la défense) que les circonstances sous-jacentes à toutes les prétendues causes de nullité, en ce qui concerne les prétendus vices d’absence de motivation sommaire ou de motivation contradictoire de celle-ci, étaient en fait des griefs relatifs à l’appréciation erronée des faits et à la violation des règles de droit, imputés au tribunal arbitral et, en tant que tels, totalement irrecevables, tandis que ceux qui sous-tendaient les violations alléguées des règles d’ordre public et le défaut de statuer étaient manifestement inexistants. En l’espèce, il s’est finalement agi d’une affaire dans laquelle les parties avaient, dans un premier temps, en concluant une convention d’arbitrage, préféré soustraire à la « justice publique » le règlement des litiges qui auraient pu naître entre elles, en les attribuant à la « justice privée », qu’elles considéraient manifestement comme plus rapide ou plus fiable, même si, évidemment, elle était beaucoup plus coûteuse ; lorsque, en revanche, un véritable litige est survenu, la « justice privée » a pris la décision, la partie perdante a essayé de demander la décision sur le fond à la « justice publique », en déguisant en motifs de nullité de la sentence arbitrale ceux qui sont, de toute évidence, des objections sur le fond et en aggravant et en entravant ainsi, de manière inutile et inadmissible, le travail ordinaire de la « justice publique »« .
Sur la base de ce raisonnement, la Cour d’appel de Milan a condamné les parties perdantes à payer, en vertu de l’article 96 du Code de procédure civile, des sommes comparables (et dans un cas identiques) à celles qui ont fait l’objet d’une condamnation aux dépens.
L’affaire jugée par la Cour d’appel de Brescia est encore plus intéressante. Dans cette affaire, la partie qui avait violé la convention d’arbitrage n’avait pas versé les avances demandées par les arbitres, ce qui avait entraîné la dissolution de la convention d’arbitrage en vertu de l’article 816-septies du code de procédure civile. La partie fidèle, contrainte de saisir le juge étatique, avait demandé à ce dernier de condamner l’autre partie au remboursement des frais, y compris ceux engagés pour la vaine procédure d’arbitrage. La Cour d’appel a rejeté la demande, mais elle l’a fait au motif que ces frais n’étaient pas des frais de contentieux au sens de l’article 91 du Code de procédure civile (et donc susceptibles d’être payés comme demandé), mais un élément de dommage, qui aurait dû faire l’objet d’une demande spécifique de dommages-intérêts, laquelle faisait toutefois défaut.
En définitive, à la lumière de ces rares précédents, on peut supposer que les tribunaux italiens sont prêts à sanctionner la partie qui a violé la convention d’arbitrage, ainsi qu’à sanctionner des comportements autres que et en plus de la simple présentation de la demande dans un forum inapproprié (devant le juge étatique plutôt que devant les arbitres). Une certaine préférence se dégage également pour l’instrument de l’article 96 du code de procédure civile, et en particulier son troisième paragraphe, qui permet le règlement équitable même indépendamment de la démonstration de l’existence et de l’étendue du dommage.
L’expérience étrangère fournit à cet égard des indications intéressantes.
De nombreux précédents en Angleterre abordent la question des conséquences compensatoires du non-respect des accords d’élection de for en général, et des conventions d’arbitrage en particulier. Un précédent extrêmement bien connu (West Tankers Inc v. Allianz SPA & Generali Assicurazione Generali SPA [2012] EWCA Civ 27) traite d’une affaire complexe dans laquelle, entre autres, la compétence pour délivrer une sentence compensatoire a été débattue (cette question a été résolue en ce sens que cette compétence appartient également au tribunal arbitral qui a finalement été saisi).
En résumé, on peut affirmer que le droit anglais reconnaît la responsabilité compensatoire d’une partie qui a manqué à une convention d’arbitrage et que les dommages-intérêts doivent être de nature à placer la partie fidèle dans la même situation que celle dans laquelle elle se serait trouvée en l’absence de manquement (bien qu’ils soient tempérés par le caractère raisonnable des frais encourus).
Il existe également une orientation de la jurisprudence du Tribunal fédéral suisse selon laquelle il est prévu par le droit suisse – ou en tout cas non incompatible avec l’ordre public suisse – que la partie qui a manqué à une convention d’arbitrage est tenue de verser des dommages-intérêts à la partie fidèle et que le tribunal arbitral est compétent pour connaître de cette responsabilité en matière de dommages-intérêts.
En résumé de la proposition de classification ci-dessus, à la lumière également de la jurisprudence nationale et étrangère, il semble possible d’affirmer qu’une convention d’arbitrage est un contrat, avec la conséquence que, d’une part, elle doit être exécutée de bonne foi et que, d’autre part, la partie qui l’a violée (par rapport à ce qui a été explicitement convenu, ainsi que par rapport à l’obligation de bonne foi dans son exécution) est tenue de réparer les dommages subis par la partie loyale. En outre, bien que les tribunaux italiens aient jusqu’à présent surtout connu la matière sous l’angle de ses implications procédurales, elle ne se limite pas à ces implications et, dans certains cas, le recours procédural apparaît inadéquat ou, en tout cas, insuffisant.
Il s’agit alors, comme l’observe la doctrine isolée mais faisant autorité mentionnée ci-dessus, « d’identifier le préjudice, qui peut consister dans les frais de défense supportés pour suivre la procédure ordinaire, non couverts par la condamnation de la partie défaillante aux frais de justice (…) » ainsi que dans tous les autres préjudices qui constituent une conséquence immédiate et directe de l’inexécution.